D’un aller-retour dans le temps et dans l’espace sous la forme d’un voyage tortueux dans la mémoire est né ce roman de Béchir Garbouj, « Passe l’intrus ».
Un voyage oui, mais encore une quête de souvenirs. Il implique tout un travail sur la mémoire. À coup de flash-back, l’auteur nous trimballe dans les rues et les cafés de Paris en plein 1968. Il nous emmène dans les endroits qui ont fait partie de son histoire quand il était étudiant. Un étudiant tunisien qui vient juste de débarquer dans une France en ébullition.
Mai 68 est l’un de ces mouvements sociaux qui ont marqué le 20e siècle. Un mouvement où les étudiants français se sont soulevés contre la guerre, contre les systèmes établis, interrogeant le monde sur la place de l’individu. Une bataille idéologique qui est allée jusqu’à déstabiliser le gouvernement français, ralliant à sa cause intellectuels, syndicats et citoyens.
Sa chambre de l’avenue Sébastopol qui croule sous les tracts, le café rue Meslay où il rencontre Marie-Claire alors qu’il attendait la femme qu’il aime, la librairie, l’université… une série de lieux que l’on découvre et que Garbouj nous fait visiter. Des endroits où les bribes d’une vie se sont dispersées.
Avec un recul de plusieurs décennies, quatre en tout, l’auteur revient sur ce printemps dans lequel il s’est retrouvé presque parachuté et où il s’est entouré de révolutionnaires et de littérature de la révolution. Un printemps qu’il observe, qu’il réfléchit et qu’il compare parfois avec la Tunisie de ces années-là.
L’étudiant étranger, l’enfant ou le vieux professeur sont des désignations différentes d’un seul et même personnage à travers le livre. Tout dépend de la position de l’écrivain : dans sa petite chambre d’étudiant en 1968, ou dans sa maison de vieux professeur, avec Fred le chat dans le jardin, quarante ans plus tard. L’écrivain essaie tout au long du livre de reconstituer l’année intense qu’il a vécue. Il tente de redessiner aussi un visage, celui de Nadine, la femme qu’il a aimée.
La mémoire est une discipline : le vieux professeur est, maintenant, tous les jours à son bureau. Au départ et comme pour amorcer le mouvement, il met dans un coin de l’image la brève silhouette de l’enfant […] L’enfant essaie d’occuper le moins d’espace possible, il se rendrait invisible s’il le pouvait.
Passe l’intrus, page 85
Plus qu’un auteur, Béchir Garbouj est un peintre qui dessine avec les mots. De ses lignes ressortent des images, des tableaux et l’on se balade avec lui, dans ses propres souvenirs. Le lecteur, entraîné par le rythme des scènes qui s’enchaînent, pourra se donner le temps de s’arrêter et de réfléchir aux naissances des révolutions… à leurs morts. Ou il pourra juste se laisser aller au fil des mots, au gré du besoin de comprendre de l’auteur, au gré de ses incertitudes qui persistent jusqu’à la fin.
Enseignant agrégé de littérature française à l’université et traducteur, Béchir Garbouj a remporté avec son premier roman « Passe l’intrus » le Comar d’Or 2017.